Les Mays de Notre-Dame de Paris : un témoignage artistique et spirituel unique

Les Mays, tradition picturale dédiée à la Vierge Marie

Le terme May vient de l’ancienne tradition médiévale où, chaque mois de mai, des hommages étaient rendus à la Vierge Marie à travers des poèmes, des sculptures et plus tard, des peintures. À partir de 1630, la Confrérie des orfèvres de Paris décide d’offrir, chaque année, un tableau à la cathédrale Notre-Dame en hommage à la Mère de Dieu. Cette tradition s’est poursuivie jusqu’en 1707, générant un cycle exceptionnel de 76 peintures, réalisées par les plus grands artistes du XVIIe siècle.

Les Mays illustrent des scènes bibliques et des épisodes de la vie de saints, en lien avec la dévotion mariale. Ces œuvres, initialement installées dans la nef, ont été déplacées au fil des siècles et aujourd’hui, elles sont visibles dans les chapelles latérales et les bras du transept de la cathédrale.

Des chefs-d’œuvre du Grand Siècle

La tradition des Mays s’inscrit dans un contexte où l’art religieux connaît un véritable âge d’or en France. Le XVIIe siècle, marqué par la Contre-Réforme catholique, voit un renouveau de la peinture sacrée, portée par la volonté de l’Église d’éduquer les fidèles à travers l’image. Dans cette optique, les Mays deviennent de véritables catéchèses visuelles, mettant en avant les figures des saints et leur rôle dans la transmission de la foi.

Ces œuvres sont commandées aux plus grands peintres de l’époque et reflètent l’évolution du goût artistique au fil des décennies. Si les premiers Mays témoignent d’une influence classique, dans la lignée de Nicolas Poussin et de Laurent de La Hyre, les compositions s’ouvrent progressivement à des styles plus théâtraux et expressifs, inspirés du baroque italien et de Rubens.

L’objectif de ces œuvres n’était pas seulement esthétique : elles devaient aussi toucher les cœurs et éveiller la piété. Les scènes représentées privilégient souvent des compositions dynamiques, des jeux de lumière contrastés et des expressions de ferveur intense, soulignant l’action divine et le rôle de l’Église dans le salut des âmes.

si la Révolution française a dispersé une partie des Mays, plusieurs œuvres majeures sont aujourd’hui préservées et exposées dans la cathédrale. Voici une sélection des plus remarquables :

1. La Conversion de saint Paul (1637) – Laurent de La Hyre

📍 Localisation : chapelle Saint-Guillaume
🎨 Style : classicisme, influence de Nicolas Poussin

La Hyre met en scène l’un des épisodes les plus emblématiques des Actes des Apôtres : la conversion de saint Paul sur le chemin de Damas. Ce moment crucial est marqué par une lumière céleste qui éblouit et fait tomber Paul de cheval. L’artiste traduit avec finesse l’opposition entre l’agitation terrestre (les compagnons de Paul paniqués) et la transcendance divine (l’éclat lumineux représentant la voix du Christ).

L’œuvre est caractérisée par une grande sobriété et une construction rigoureuse des formes, typique du classicisme français. Le jeu des diagonales et la posture des personnages dirigent le regard vers l’élément central : la lumière de la révélation.

2. Saint Pierre guérissant les malades de son ombre (1635) – Laurent de La Hyre

📍 Localisation : chapelle Saint-Pierre
🎨 Style : classicisme et naturalisme

Cette scène illustre un miracle attribué à saint Pierre : en marchant dans les rues de Jérusalem, son ombre seule suffit à guérir les malades. La Hyre adopte ici une approche plus naturaliste, en représentant un groupe de figures réalistes aux expressions variées.

La composition met en valeur le contraste entre l’autorité spirituelle du saint et l’attitude humble des malades qui tendent les bras vers lui, dans un geste de supplication. Le traitement des drapés et des lumières rappelle l’influence caravagesque qui traverse la peinture sacrée du XVIIe siècle.

3. La Lapidation de saint Étienne (1651) – Charles Le Brun

📍 Localisation : transept sud
🎨 Style : baroque français, dramatisation de la scène

Charles Le Brun, peintre officiel de Louis XIV, apporte une intensité dramatique à la scène du martyre de saint Étienne, premier martyr chrétien. Le saint, vêtu de blanc, se détache sur un arrière-plan sombre et agité, soulignant son abandon à la volonté divine.

L’artiste utilise un clair-obscur marqué et un dynamisme des gestes pour accentuer l’impact émotionnel. Cette œuvre s’inscrit pleinement dans l’esthétique baroque, qui cherche à susciter l’émotion et à amplifier la force du message religieux.


4. La Descente du Saint-Esprit (1634) – Jacques Blanchard

📍 Localisation : chapelle Sainte-Geneviève
🎨 Style : influence de Rubens, fluidité des formes et des couleurs

Ce May illustre la Pentecôte, moment où les apôtres reçoivent les langues de feu du Saint-Esprit. Jacques Blanchard, surnommé le « Rubens français », insuffle une vibration lumineuse et colorée à la scène.

Les personnages, aux visages empreints d’émerveillement et de piété, sont baignés dans une lumière chaude et dorée qui symbolise la présence divine. L’usage des tons rouges et orangés renforce l’intensité de l’événement et met en valeur la transformation intérieure des disciples.


Les Mays, un patrimoine vivant et témoin du dialogue entre art et foi

Aujourd’hui, les Mays de Notre-Dame ne sont pas de simples reliques du passé, mais des témoins d’une époque où l’art et la spiritualité étaient indissociables. Ils témoignent du lien entre l’Église et les artistes du XVIIe siècle, où la peinture servait autant à l’instruction qu’à l’élévation de l’âme.

Grâce aux efforts de conservation et de restauration, ces œuvres retrouvent progressivement leur place dans le patrimoine vivant de la cathédrale. Elles permettent aux visiteurs de redécouvrir la force évocatrice du sacré à travers la peinture et d’admirer un pan essentiel de l’histoire de l’art religieux en France.

Avec la réouverture de Notre-Dame en 2024, les Mays reprennent leur rôle : guides visuels et spirituels, témoins de la grandeur d’une tradition artistique qui, plusieurs siècles après, continue d’inspirer et d’émouvoir.

(c) Julio Piatti; DR